« C’est où la teuf du 1er mai ? » m’envoya ma cousine fin avril. C’est à ce moment-là que je pris conscience que je serais à la campagne, en train de garder poulezépoissons chez des ami·e·s de Céroux-Mousty, et que donc la question se posait de venir ou non spécialement à Bruxelles. Raté aussi l’année dernière, car j’étais hors course territoriale, mais je me souvenais que j’aurais voulu être là pour la simple raison qu’il avait été question que la manif « 1er mai révolutionnaire » termine au Jeu de Balle et qu’il y ait des tables avec des livres/zines. Je trouvais l’idée excellente de finir là-dessus, en discussion (vente?) autour de tables et de textes, mais je n’étais pas là.
J’en ai reparlé cette année, début avril, à la librairie Météores, et il m’a dit que oui ça se refaisait, qu’ils avaient relayé l’info sur leurs réseaux. Mais là, ça a été décevant : 20 € de participation aux frais pour celles et ceux qui veulent poser des bouquins. Je comprends l’idée de participer aux frais (quoique…), mais moi, avec une table à prix libre et des trucs où ma marge est de 1 ou 2 euros par bouquin, leur filer 20 euros, c’est perdre 20 euros. Donc, j’ai baissé les bras. Alors même que le pote qui avait fait l’affiche me disait de venir squatter sans payer ma cotiz, je n’avais pas envie de devoir filouter pour une place au 1er mai révolutionnaire. J’en ai parlé à la Distrolaponithèque (désormais Distropie) et ils n’y allaient pas non plus. Je n’ai même pas demandé la raison, ça concluait mon affaire.
Arriver les jours précédents, je me disais malgré tout, de faire un aller-retour pour y participer. Juste pour le cortège, juste pour être là, discuter, se mettre à jour sur certaines choses ratées (vivant hors rxsx, c’est parfois le cas) et surtout, dire bonjour, recroiser du monde. Je me dis qu’une manif par mois minimum c’est bon pour le moral, même si c’est juste déambuler ou tenir le piquet (Assange). C’est déjà se rassembler. Je m’étais même dit de faire une petite banderole second degré, histoire de dérider et de forcer à rire et à en discuter du manque de fun général dans toutes les gauches réunies. Et puis je me rends compte à midi, le jour même, que je suis à la campagne devant la supérette fermée, et que c’est trop tard, je ne serai pas des leurs. Comme iels donnent tout par rxsx et que je n’ai aps non plus reçu de mail ou sms, j’ai finalement bien réussi encore à passer à côté.
Quelques jours après, faisant un bout de chemin en vélo sous la pluie, avec un ami, la curiosité me piquait et je lui demandai s’il y a été et ce qui s’est passé, mais surtout, ce qu’il pense de ce « 1er mai révolutionnaire », en très rapidement il y a vu un spectacle pas très folichon et ordonné. Très attendu. Pas très rigolo, pas si pire non plus. Et d’autres détails que j’ai oubliés. Mais en le re-contactant, il m’a envoyé ça : “
je suis tombé sur un texte marrant de Gustav Landauer (un anar
allemand du XIX/XXème siècle) qui critique "la tactique des apparences
dont le Premier Mai est, selon lui, le parfait exemple : une marche
rituelle, piailleuse, stérile, sans idée ni lendemain, déguisement de la
faiblesse, simulant aux yeux des maitres, mais aussi des ouvriers qu'on
fait jouer à la Révolution une fois par an, en public et en bon ordre,
un pouvoir qui n'existe pas".
Du coup, j’ai aussi recontacté ma cousine, voir comment ça c’était passé pour elle au final. Si elle avait trouvé son graal. Ayant eu les grandes lignes, je lui ai proposer de raconter son 1er mai à elle:
J’ai pas vraiment l’habitude de travailler. Enfin, quand je travaille, mon rythme c’est plutôt fort fort pendant une très courte période et puis long long au gré du vent. Parfois c’est violent, pendant les vendanges par exemple. Levée à la fin de la nuit, mi-septembre, dans les brumes frissonnantes du beaujolais ou des mornes plaines de champagne avec 1h de sommeil dans chaque œil, encore éblouie de l’ivresse de la veille, courbée pendant 8h avec un objet tranchant dans la main.
Mais à la ville c’était autre chose. La difficulté de se lever la nuit était parfois récompensée par un lever de soleil orange et mauve, calée au fond du bus 48, la rétine imprimée par les lueurs orageuses sur les échafaudages du palais de justice et le soleil qui miroite dans les vitrines de la rue haute, l’observation endormie des premiers gestes des travailleurs du petit jour, la fille qui tire sa chaise devant un café rue du midi et place des couques chaudes derrière la devanture, le clodo qui s’étire en bâillant ou se renfonce dans son duvet devant l’église Saint-Nicolas, la sdf qui arpente la rue des Fripiers, fière comme une reine, croulante et héroïque dans ses guenilles, alpaguant les jeunes actifs rasés de près, une cannette de 50 dans la main, pour leur demander en les engueulant un peu de monnaie pour la prochaine tournée. Puis le joyeux ballet de la voiturette qui efface les traces des abominations de la nuit en face de la friterie Tabora, avalant entre ses griffes gloutonnes les papiers gras, les canettes de cara et les vomis irisé sur les pavés encore luisants de rosée.
Sur les marches de l’opéra, les derniers tessons sont recueillis, quelques types en sac à dos errent en attendant un premier rayon de soleil, hésitent entre une bière et un café.
Et moi, je vais badger à l’entrée, comme à l’usine.
On m’avait proposé de garder le job jusqu’à la fin de la saison fin juin. 4 mois de travail dans un lieu prestigieux, avec la possibilité de me former, d’apprendre. Arf … J’ai prétexté un hypothétique job et j’ai négocié de ne travailler que mars et avril, râlant déjà sur ces 2 mois de jeune printemps que j’allais passer derrière 4 murs …
Enivrée par l’odeur des jacinthes, des glycines et des lilas, excitée comme une puce par les cerisiers et les magnolias en fleurs et les cris des renards sous la lune, je piffais d’impatience dans l’odeur de la terre qui tiédit et celle de l’huile des machines à coudre. Bientôt, oui, bientôt.
Je lançais des lignes à droite à gauche pour pêcher une petite free party du 1er mai, synonyme du début d’un long été et de la fin de mon contrat.
En vain. Le 30 avril je rendais mon badge, et, faute d’infos qui m’auraient guidé vers un petit système son gentiment calé dans les bois, je décidais d’aller fêter ça au Camping 58 où il y avait un grand concours de pétanque et des concerts, puis j’imaginais rejoindre la fête révolutionnaire et errer dans les rues jusqu’au matin suivant.
Le 1er en fin de matinée, mes collègues de pétanque annulent pour cause de gueule de bois et de non-sommeil.
Il fait un temps magnifique. Je râle puis je les rejoins finalement.
Sur le toit, une piscine d’eau chaude attend.
Siffler des bières dans l’eau, écouter de la musique, faire bronzer nos seins nus. N’avoir comme seule injonction que celle de ne pas mouiller la cocaïne en prenant une trace dans le bain.
Dans l’immeuble en face, pas encore cachés par la végétation encore trop basse, les voisins se relaient à la fenêtre pour fumer des clopes en nous regardant.
Est-ce qu’ils nous détestent, nous, petits bourgeois perchés, à moitié nus sur ce rooftop ?
Est-ce qu’ils nous envient ?
Est-ce que les deux ?
Dans la nuit, calée dans le bain fumant, des ondes de regrets me parcourent.
Ce premier mai, ce n’était pas vraiment l’aventure. Où sont passées nos échappées nocturnes, nos errances, notre cartographie de l’ivresse en mouvement ?
Où est mon système son, où sont les êtres, mi-renards mi-humains qui dansent sur de l’acide techno jusqu’au matin ?
Où est ma révolution ?
L’eau chaude ramollit tout.
Je me laisse amollir, bercer, flotter, dans une ivresse et un bien-être sans vague qui parviennent peu à peu à camoufler ma honte.Allez ciao la ville.
Je vais voir dans les montagnes si j’y trouve un remède à ma mollesse.
Hasta la Révolution siempre !
Enfin, si l’eau n’est pas trop tiède …
Agh Toto & Niko